Le tout petit carnet de voyage

Je fais mon sac à la dernière minute. Il est difforme. Lourd et importable. Taxi. Orly Sud.

Un couple de personnes âgées tente d’enregistrer leur dizaine de bagages. Le monsieur de l’aéroport est rouge. La vieille dame ne cesse de parler. Le monsieur crie : “faites bref svp madame…” Apparemment l’esprit de concision n’est pas son fort. Le vieux monsieur est effacé. L’homme à l’uniforme, d’une forte carrure, sue. S’essuie le visage. Fait un effort insurmontable pour rester poli. Au bout de 30 min et quelques coups de fils la situation se dénue. Cependant, d’un coup, l’homme fort se lève et crie :”maintenant c’est la machine qui bogue ! “

Un jeune homme parle au téléphone derrière moi d’un projet Web qu’on souhaite lui faire faire. Il est taquin. Quoi un site pour mille euros sous WordPress ?

Je joue avec mon smartphone et me dit que entre le bogue de la machine et le jeune au téléphone, décidément le boulot me poursuit ! L’homme à l’uniforme, d’un tour de passe passe avec son collègue d’à côté, réussi finalement à se débarrasser du couple de vieux. Par contre la machine bogue toujours. Il s’excite. Se lève. Téléphone. Râle dans sa barbe contre son supérieur. Ne cesse de s’excuser pour le retard.

Je suis hors temps. Je suis comme un pneu surgonflé qui se dégonfle. Hagard. Je m’endors sur mon siège. Direction Istanbul, une escale de 4 heures m’attends. J’ai payé une bouteille d’eau de source de 33cl 1,30 euros dans l’avion. J’enrage.

Au Burger King de l’aéroport le jeunot derrière la caisse réussi à me vendre une boîte de 9 nuggets comme faisant parti de mon menu. Il me réclame 14 euros. Je dis What ? Il me fait comprendre que c’est le supplément de nuggets !

Porte 204 B. Ils sont de noir et gris vêtus. Tirent la tronche. Assis par terre. Mal rasés plus que barbus. Costumes mal taillés. Chemises trop courtes. Ventrus. L’ambiance. Je ne comprends pas pourquoi ils se refusent le confort. L’aéroport est rempli de bars et de fauteuils. Ils sont par terre devant les portes fermées à attendre d’embarquer. Le confort serait-il un péché ? Un Starbucks, un Burger King … D’ailleurs, avec toutes ces enseignes la seule chose qui fait Istanbul est la langue turque.

Les femmes mettent leur foulard et j’atterris sur Imam Khomeiny. L’aéroport.

A la douane le gars me montre le tampon d’autorisation de sortie sur mon passeport iranien et me dit “Fais attention à ton service militaire !”. J’acquiesce poliment et le remercie.

Et ça y est. J’y suis. 3h du matin. ça bouillonne encore dans l’aéroport. J’étais là il y a 6 ans.

La 405 roule. Je donne des nouvelles. Trouve que mon cousin a trop vieilli. Comme à chaque retour, je me crois dans un rêve. L’autoroute. Des chemins de traverse. Des dos d’ânes. Des gens qui errent à 4h du matin. Une petite ville de Shahryar. Au fond d’une rue, nous sommes arrivés. Une cuisine ouverte sur un grand espace, deux chambres, une salle de bain, des WC, cinq personnes vivent là, et moi maintenant pour quelques jours.

J’ai une carte SIM prépayée. Le numéro a circulé. Il ne cesse de sonner. Je passe mon temps à passer de Shahryar à Téhéran et vis et versa. J’observe. Je dévisage la rue. Je regarde les gens. J’écoute.

Il est question de mariage. De dot trop chère. De divorce. De relations amoureuses. De ruptures. D’arrangements amoureux. Les écrans de TV sont branchés sur les chaines persanes diffusées à partir de l’étranger. Les séries turques ont remplacées les indiennes. Les satellites sont maintenant apparents devant les fenêtres, plus personne ne les cache. Le pouvoir a abandonné l’idée même de les détruire.

Avoir et paraître c’est ce qui se diffuse à longueur d’antenne et c’est ce que transpire l’ambiance. D’ici et là des reliques des idéaux de la révolution islamique, quelques martyrs … Street art avant l’heure, délavés, effacés par les années, noyés dans la masse de panneaux publicitaires pour LG, Samsung, KIA, et autres produits étrangers …

Le bloc 350 des prisonniers politiques de la fameuse prison d’Evin s’est révolté. Les insurgés se seraient faits massacrés. Les mères manifestent devant la prison. La BCC Persane rapporte. VOA (la Voie de l’Amérique) commente. Le responsable iranien temporise sur la 1ere chaine de la République Islamique d’Iran. Le fin mot de l’histoire est la découverte d’une carte SIM parmi les prisonniers.

Dans le métro un gars assis chope une page d’un canard qu’un autre lit debout. Ce geste me fait sursauter. Le gars debout dit : “t’inquiète pas ce n’est pas ce soir qu’il vont augmenter l’essence.” Il s’ensuit une discussion tranquille sur la corruption, ces salauds d’en haut qui ne pensent pas au petit peuple. La discussion se termine par l’histoire d’une combine que le gars assis a monté pour se faire quelques sous. Dans un taxi collectif le surlendemain, j’entends que l’armée avait été présente devant les stations d’essence le soir de l’annonce de l’augmentation du prix de l’essence. Rumeur ?

Les micros trottoirs interrogent “les gens de la rue” sur l’allocation universelle qui ne l’est maintenant que sur déclaration de revenus et ce en ligne. Des millions de personnes en sont bénéficiaires. A demi mot, les “journalistes” poussent les gens à se désister. Il y a toujours plus pauvre, plus malheureux que soit et ça partout dans le monde !

J’ouvre un compte en 5 minutes dans une banque. Il y en a plusieurs à chaque coin de rue. La carte de paiement a remplacé les liasses de billets. On transfère l’argent de compte à compte, de carte à carte, via des distributeurs ou par SMS !

Je ne vois pas le temps passer. J’ai le tournis. Je commence à connaitre les autoroutes, les rocades, les lignes de métro, les quartiers… et j’ai un mal de chien à retenir leurs noms ! Pourquoi ?

Il est 1h du matin. Je suis à l’aéroport. Mon vol est dans 2h. Je suis dépité. Le monsieur en face de moi me dit : “Mais enfin monsieur vous avez le poids de bagages pour deux personnes !”. Je négocie ferme et fulmine de payer autant de surpoids. Une pensée pour les vieux de l’aller.

Mon sac a dos est lourd. Les pasdarans sont toujours là avant la montée dans l’avion. Il y en a un qui crie en s’adressant à deux de ses collègues : “Hé, apparemment il y a quelques choses entre vous deux ou quoi ?” Éclat de rire général.

Je roule avec mon père vers Paris. Je suis déjà pris de nostalgie.

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