Le deuil

Je montre à mon père comment classer ses photos sur son ordinateur. Et je tombe sur cette photo :

Je demande depuis quand ma nièce sait écrire le persan. Mes parents ont le sourire aux lèvres. En effet c’est une photo de ma lettre du “grand retour”. Il est écrit : “Iran Patrie. Dormir sans dormir. École sans école”.

Je ne reconnais pas mon écriture, mais je me rappelle très bien de cette lettre et de la nuit où je l’ai écrite.

Je partageais une chambre avec ma sœur. Nous dormions dans des lits superposés, moi au dessus. La famille était locataire d’un deux pièces à Châtenay-Malabry.

Un mois d’été ou de printemps, je ne sais plus, nous quittons le foyer des travailleurs immigrés qui servait aussi de foyer d’accueil des exilés politiques, de la ville de Miribel, ici exactement. Je suis assis à l’arrière d’une camionnette sur nos valises. La camionnette, conduite par un bénévole de je ne sais quelle association, nous dépose à la gare, à Lyon. Nous prenons le TGV. C’est la première fois de ma vie que je prends un train. Arrivés à Paris, nous avons rendez-vous sur le quai du RER B, station Denfert-Rochereau avec une connaissance.

Je me vois assis dans le wagon de tête du RER par terre. Il fait très chaud.

Robinson, terminus, tout le monde descend.

Un couple d’iraniens et leur fille quittent le deux pièces. Nous allons prendre leur place. Il n’y a rien dans les pièces sauf un matelas posé par terre. La propriétaire veut bien louer l’appartement à condition que nous la payions en liquide.

Nous posons nos valises. Notre nouvelle vie commence à partir de ce moment. Je ne le sais pas encore. Je crois toujours que c’est provisoire et que nous allons rentrer bientôt.

La fameuse nuit de la lettre, donc, j’ai le mal du pays. Je vis mal le fait de ne pas comprendre ce que mes profs du collège racontent. Je suis projeté dans une ZEP et comme je ne comprends et ne parle pas bien le français, je suis dans une classe de redoublés, qui avait un intitulé bien “éducation nationale” pour définir une classe d’enfants difficiles.

Moi le premier de la classe dans mon pays, je suis dans une classe de cancres, avec deux ans de retard sur le cursus normal. Je suis perdu parmi les pré-ados de la Butte-Rouge laissés à l’abandon par la fermeture de Billancourt.

Non vraiment, si mes parents ne peuvent pas retourner au pays, moi je vais y retourner. Je bois comme Rocky un verre de lait avec un jaune d’œuf dedans. Je pique 50 francs dans la poche de mon père. J’écris cette fameuse lettre. Je noue des cordes. J’attache mon instrument de libération à la barrière du balcon au deuxième étage. Je pars dans les rues froides d’un mois d’automne. Je marche tête baissée. Je ne sais pas vraiment où je vais. Je marche. Je ne sais pas comment, je me retrouve vers cinq heures du matin à la station de métro Chatillon Montrouge. Je suis assis sur mon sac. Mes parents me manquent. J’ai un éclaire de lucidité. Je ressors. Je prends un bus. Ma mère ouvre la porte me serre dans ses bras. Elle fond en larmes.

Ils ont passés la nuit à appeler à l’aide leurs amis aussi étrangers qu’eux. Les flics ont rembarré mon père. “Les fuyards rentrent en majorité des cas”, qu’ils lui avaient répliqué.

L’Iran c’est fini. Je n’y retournerais plus. J’accepte la fatalité. J’en fais mon deuil et je ne veux même plus en entendre parler. Et c’est à 30 ans après 18 ans d’éloignement que j’y suis retourné.

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