Un pari

Nous sommes assis à la terrasse d’un restaurant jonché sur le toit de Téhéran. Je discute avec mon petit cousin, Amir. Et d’un coup je hausse la voix. Mes amis qui ne comprennent rien au persan sursautent. Ils me jettent tous un regard inquiet. Je suis rouge. Je tente de gérer la colère qui monte.

– Qu’est-ce qui t’arrive ?

– Rien, il veut quitter l’Iran. Il veut aller vivre en Europe, au Canada …

Je me trouve à Téhéran avec trois amis sur un coup de tête, un pari.

– Quand est-ce que tu nous fais visiter l’Iran ?

– Quand vous voulez !

Amir nous attend à l’aéroport. Il a toujours le sourire, celui qui ne le quitte jamais. Il tente un bonjour en français. Salue chaleureusement tout le monde. Fais connaissance. Insiste pour porter ma valise. Il entame la conversation en anglais. Je tente la traduction persan-français, français-persan.

Je suis heureux d’être là comme à chaque fois. Les autres découvrent silencieusement, je joue parfois le guide et décris le paysage. Je compare le temps de mon enfance et les changements que je vis à chacun de mes retours. Je me contiens pour ne pas mélanger ce qui est de ma vie de ce qui devrait être de l’ordre d’une découverte touristique.

C’est Achoura. Le pays est en deuil. Des tissus noirs décorent les murs. Nous vivons à chaque coin de rue des cérémonies de deuils. Des hauts parleurs geignent. Ça pleure l’imam Hossein. Les hommes de tout âge, en rang, se frappent les épaules avec des chaînes. D’autres lèvent leur bras droit au ciel au ralenti et l’abattent avec une grande force sur leur coeur. Tout cela suit un rythme, une musique de complaintes.

Le bazar de Téhéran est fermé. Des stands de fortune distribuent de la nourriture, des pommes de terre, des oeufs durs, d’autres du thé.

Nous avons RDV avec Babak, le frère de Amir, dans un coffee shop branché de Téhéran. Il vient nous chercher avec un grand sac de sport à la main, grand sourire, posture de grand seigneur. Arrivé à notre appartement. Il ouvre son sac, sort des chips, des cacahuètes, du yaourt à l’ail et une grande bouteille de Whisky.

– Dis leur Maziar, qu’ils ne faut pas qu’ils croient qu’on ne peut pas faire la fête en Iran !

Nous filons à 120 km/h dans les rues de Téhéran. Le niveau sonore de l’autoradio est à la hauteur de la vitesse de la voiture. Deux manoeuvres réalisées avec une seule main, nous sommes garés. Nos rentrons dans un dinner. Babak offre des burgers.

– Dis leur Maziar, à Téhéran aussi on peut manger de bons burgers !

Nous sommes à Karaj. Je suis en pèlerinage. Je cherche l’ancien kiosque de mon grand-père. Le bazar est calme. Les bazaris trainent leur ennuis adossés à leur étalage. Ils nous regardent d’un oeil plus suspicieux que curieux. Je suis pris d’un sentiment de malaise.

Devant la mosquée, je montre du doigt un abri, une tranchée, un vestige de la guerre Iran-Irak. Un adolescent de noir vêtu de la tête au pied vient vers nous. Quelqu’un lui demande en anglais ce que c’est. C’est alors que l’adolescent me regarde, pour que je traduise et se lance dans un long discours : le guide supreme Imam Khomeini, la guerre sainte, les martyrs, l’Iran qui n’a peur d’aucun pays… Sur le chemin du salon de thé où il veut nous emmener, il me demande :

– Monsieur, est-ce que notre guide est adoré à l’étranger ?

Je ne sais quoi répondre à ce garçon dont le fond d’écran de téléphone est une photo de Khamenei.

Il est extrêmement tard dans la nuit. Nous sommes sur la route de l’aéroport. Je regarde le paysage. Je suis triste de quitter de nouveau ce pays. J’aurais tant voulu avoir un chez moi. Je me dis pour la énième fois que si jamais nous ne l’avions pas quitté, je ne serais pas cet éternel étranger et ce où que j’aille. Et je pense à Amir.

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