Société tu ne m’auras pas (2)

Je n’ai jamais dis clairement à mes vieux camarades que j’avais pris mes distances avec le parti. Je me sens cynique. Un lutteur qui aurait abandonné en plein milieu d’une bataille sur le ring. Je ne veux pas les décevoir. Ces camarades militent depuis des dizaines d’années. Bien d’entre eux ont contribué à la grande Histoire. Je les admirent.

-Alors Maziar tu en es où avec le parti ?
-Ah, tu sais, j’ai trop de boulots, les enfants… et puis je n’ai plus la tête à ça !

J’ai les boyaux qui me font un mal de chien. Une douleur soudaine. Je viens de terminer une intervention dans un préau d’école. L’intervention de celui qui veut encore y croire. Il y a un monde fou. L’ambiance est tendue. Bové vient de partir en solo, les comités anti-libéraux se disloquent. Les communistes ne veulent pas céder sur la candidature. Ça sera Marie-George ou ça ne le sera pas. J’ai tellement mal que je m’assois sur le sol. Je ne veux pas croire que c’est fini.

Dans un coin, sur un banc d’une école maternelle, je me présente timidement : « Maziar, militant communiste ». Il y a tout de suite un vent de méfiance parmi ces militants altermondialistes, trotskystes, féministes, libertaires, associatifs … J’assume.

Debout au fond de la salle du local des communistes du 13e, je parle en assemblée générale. Je tente de donner un sens à ce que j’ai griffonné sur le bout de papier que j’ai à la main : « besoin de nous nourrir des autres, rentrer dans la société, nous confronter à d’autres cultures militantes; ce qui compte c’est changer ce monde et cette société, un outil n’a aucun sens pour soit; ce n’est pas par l’incantation que nous y arriverons … » Assemblée générale en assemblée générale, je prends la parole et la parole, obstinément pour convaincre d’être la force, le moteur du forum social.

J’ai le sourire. Je suis heureux. Je sors avec mes camarades du parti, d’un débat public du forum social local. Un militant de la LCR m’invective sur notre alliance municipale avec ces « porcs » (sic) de socialistes. Je rigole. J’esquive la provocation et évite l’altercation. Je lui donne rdv à la prochaine réunion du comité local anti-libéral.

Autour de la table, les révolutionnaires, celles et ceux qui veulent mettre à terre le capitalisme, ou le dépasser, le transcender ou le trucider … ces révolutionnaires aux grandes idées généreuses, utopiques, ces communistes, ces libertaires, ces militantes et militants sociaux s’étripent réunion en réunion sur le choix de leur candidat à l’élection présidentielle. Cette ironie m’exaspère. Mais enfin, cette élection n’est jamais que le produit de ce monde dont nous voulons faire table rase ! Nous sommes pris dans son sillage. Nos cerveaux n’arrivent pas à nous projeter au-delà. Nous jouons à un jeu dont nous ne cessons de vouloir détruire les règles. Et pourtant j’y participe, comme les autres, en défendant ma candidate !

Marie-George Buffet – 2007

Voilà. Encore un échec. J’ai mal au ventre et les larmes aux yeux. Je suis usé. Je quitte le préau et pense déjà à l’organisation de la campagne électorale qui vient.

Ce fut fini avec les gauchistes. Je ne les croiserais plus jamais que pendant les manifs et surtout pas dans les mêmes cortèges.

Ce sera Marie-George Buffet la gauche populaire et anti-libérale.

Société tu ne m’auras pas (3) – bientôt