Babak, les cigarettes et le drapeau

L’autre jour le statut Facebook de ma cousine qui vit à Karaj était “pourquoi les collégiens dès qu’ils voient une fille commencent à se battre ?”

A Ferdows (à peu près ici) je traine avec Babak. C’est un beau garçon. Il a le style citadin pour le village dans lequel nous vivons. Nous sommes très potes. Nous avons le même âge entre 11 et 12 ans. Et une de nos activités favorite est de nous faire beau, attendre la sortie des filles de l’école et commencer à nous battre pour attirer leur attention. Ça les fait rire. Je pense qu’elles se moquent plus de notre ridicule qu’elles ne sont séduites par notre virilité.

De temps à autre nous piquons une petite cigarette à nos pères et nous allons la fumer sous les arbres des fruitiers qui entourent le village.

Un jour de pluie, les baskets encombrées de gadoues collantes, nous passons devant le collège, une cigarette au bec. C’est le début de l’hiver, il commence à faire vraiment froid et personne dans le parage. Le collège est toujours en construction, pas de portes, ni de portails. Dans un élan révolutionnaire l’idée nous prends de descendre le drapeau de la République Islamique d’Iran qui flotte au bout d’un mât de quelques mètres.

Drapeau de l'Iran

Je tire sur la ficelle, le drapeau ne bouge pas. Je secoue le mat. Je m’énerve et finalement je grimpe, détache le drapeau et récupère la ficelle. Nous nous demandons ce que nous pouvons faire de ce drapeau et dans un second élan révolutionnaire, nous décidons de le foutre dans les chiottes indescriptibles.

La découverte du drapeau dans les toilettes par les autorités du collège déclenche un scandale énorme. Les autorités milicières suspectent la présence d’un groupe d’opposants dans le village. Ça fait le tour des villages alentour. Le comité révolutionnaire jure de retrouver les contre révolutionnaires. La révolution islamique est en danger imminent.

Je respecte scrupuleusement le silence absolu que nous nous sommes imposés Babak et moi.

La guerre Iran/Irak suit son court avec son lot de restrictions. C’est l’hiver. Nous nous chauffons au pétrole. Pour avoir des gallons de pétrole, nous faisons la queue. Dans une de ces queues interminables, le sujet dont tout le monde parle, est cette souillure commise au drapeau. Se retrouve pas loin d’une de ces discussions Babak. Je ne sais pourquoi, par peur, par vantardise, par lâcheté, par … il raconte tout et me désigne comme l’investigateur.

Il s’ensuit des épisodes de convocations dans le bureau du directeur du collège, de moi, ensuite de mon père et autres désagréments, notamment pour ma sœur de 7 ans, à l’école primaire.

Je ne me rappelle aujourd’hui que de ce sentiment de culpabilité forte que j’ai eu, parce que j’avais crée des ennuis à ma famille.

Le reste ne doit pas être très joyeux, ou signifiant car je n’en ai aucun souvenir.

À l’usine

Nous sommes en 87. J’attends mon tour, dans une pièce du collège Thomas Masaryk. J’ai rdv avec le médecin scolaire.

Banlieu

Sur le mur il y a une affiche avec des pains de sucre. Je suis perdu dans mes souvenirs. Je vois ma mère et ma grand mère sur une nappe, assises par terre, en train de couper en petits morceaux un pain de sucre gigantesque. ça y va avec le marteau, ensuite avec de grands ciseaux et puis des petits. Je me rappelle de ces ciseaux que ma mère ne se séparait jamais; des ciseaux made in USSR.

Un copain passe le test d’Ishihara, juste à côté, haut la main. Ce test que je ne réussi pas et qui fait dire au médecin du travail, cette réplique que je n’oublierai jamais : “Tu sais ce n’est pas grave, quand tu seras ouvrier à l’usine, il se peut que tu aies des problèmes avec les diodes des machines …”

Je ne comprenais pas, je ne m’étais jamais projeté dans une usine ! Je voulais être écrivain, comédien … Pour cette dame, étudier au collège Thomas Masaryk, être enfant d’immigrés ne pouvait amener, au mieux, qu’à l’usine ?

Je n’avais que 14 ans.