1, 2, 3 ET ON RESPIRE

On mangeait avec des collègues, l’une d’elle me demande, c’est quoi les “Moudjahidines du peuple”. Cette question, on me la pose souvent. Je trouve triste que de l’opposition iranienne, la seule organisation politique ancrée dans l’imaginaire soit celle-ci : une organisation sectaire et doctrinaire, avec le culte de la personnalité poussé à l’extrême, rien à envier à la Corée du nord. Il suffit de regarder leurs défilés militaires sur Youtube par exemple.

Toujours dans ce type de discussion, le sujet dévie. On finit par parler de l’Iran, de l’histoire contemporaine, de la Révolution de 79. Et je trouve que trop souvent je pars dans mes souvenirs.

Nous sommes chez mes grands-parents paternels à Téhéran. Ils habitent à l’étage au coin d’un carrefour. Je me souviens très bien de cet appartement tout en longueur. Dans une pièce au fond, mes grands-parents ont leur chambre. La chambre d’à côté est occupée par ma tante et ses enfants. Dans le couloir un mirroir est cloué au mur et un de mes cousins se rase devant. Dans la cuisine il y a un frigo où des bouteilles ayant contenu du raki sont remplies d’eau. Je regarde par la fenêtre des gens qui montent une barricade sur le carrefour, avec des brics et des brocs. Le soir venu, on entend des tirs. Une balle traverse une fenêtre et finit sa trajectoire dans le mur.

Manifestation

Et l’autre souvenir, c’est mon père et l’un de mes oncles. Ils reviennent d’une manifestation, je les vois monter dans les escaliers avec une baïonnette comme prise de guerre.

En parlant de guerre.

Il me semble comme un soir d’été indien. Il y a mon père avec des amis. Ils marchent sur la route principale qui relie notre village aux autres et à la ville. Ils parlent d’une attaque par l’aviation irakienne. On saura par la suite que c’est le début de la guerre Iran/Irak.

Guerre

Des souvenirs de cette guerre, je peux en énumérer des dizaines. S’il y a une seule image à retenir c’est celle de tissus noirs. Tissus noirs des tchadors des femmes, tissus noirs tendus devant les logements des martyrs, tissus noirs de bandroles de propagande. Le noir du deuil. Le deuil omniprésent. Les martyrs qui ornent les façades des immeubles. Les mosquées qui crachent via des haut-parleurs verts, en pleurnichant, des versets du Coran. Ce sont les années noires de mes souvenirs d’Iran que nous abandonnons en 1984/1985.

Hauts parleurs

Mais surtout, ce que je retiens de cette guerre, ce sont les bombardements de l’aviation Irakienne et les scuds sur Téhéran.

Des sirènes qui hurlent, coupure générale d’électricité, l’interdiction d’allumer des bougies sans avoir tiré les rideaux au préalable, des gens qui courent pour rentrer chez eux. On habite une maison dans un village. Alors, dès que les sirènes hurlent, nous sortons dans la cour. Je me souviens d’un soir de printemps avec la famille, un petit cousin qui dit : “je suis zorro, je n’ai pas peur”.

On compte, 1, la première, 2, la deuxième, 3, la dernière bombe et on respire.

Ces épisodes sont très justement racontés par Marjane Satrapi dans Persepolis la bande dessinée et le film qui en est issu.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.