Nous vivons votre héritage, soyez humbles !

J’avais écris ce texte lors de ma rupture avec le Parti Communiste Français en décembre 2014.

Vous avez fait le siècle dernier. Vous avez été de ses combats. Vous avez fait 68, Larzac et cie. Vous avez accepté d’être enfants du Père du peuple. Vous avez prié, vous avez récité, vous avez prêché, toutes les dogmes rouges du siècle.  Vous avez été les soldats de Mao, Castro, Ho Chi Min … tous ces prophètes et théologiens de la foie marxiste-léninistes et autres religions ou sectes issues du communisme d’Etat et toutes autres dérivés inventés par des démagogues, des leader maximo, des commandants…

Vous avez cru à la Révolution d’Octobre. Vous avez défendus l’indéfendable, pour sauver l’illusion des lendemains qui chantent. Vous avez pardonné l’impardonnable. Vous avez justifié l’injustifiable. Vous aviez la foie, la raison n’y avez aucune place.

Vous vous êtes dit athées, et vous vous êtes trouvés d’autres religions dont vous en êtes devenus des croisés. Vous avez même fait de la laïcité une religion, une intolérance.

Vous avez participé malgré vous, souvent, à salir l’idée de justice, de révolution, de progrès, de changement, d’égalité…

Certains d’entre vous se sont reniés. Ayant confondus justice et religion, égalité et dogme, vous avez adhéré à ce que vous dénonciez quand vous étiez boutonneux. Vous êtes devenus même des pires défenseurs de la jungle. Vous avez confondus dogmes et idéaux, valeurs et versets, épanouissement et devoir. Vous avez renié votre individualité pour vous fondre dans des troupeaux, des sectes.  Pour vous vengez de votre passé, vous vous êtes alliés à vos ennemis d’hier.

Et puis il y a vous. Vous n’abandonnez pas. Vous vous êtes laissés perdre dans les couloirs des appareils. Cela fait un certain nombre d’années que vous êtes dans les papiers. On dit de vous que vous seriez des apparatchiks, des bureaucrates, ou les deux. Collés à votre positon et sans aucune modestie vous continuez à occuper la place. Vous occupez des lieux de pouvoir, vos lieux de pouvoir. La politique est devenue votre métier. Vous avez des places et tout est bon pour les conserver. Vous avez enfanté des comme vous. Ces petits là ont trouvé dans vos idéologies de jolies objets marketing, et dans vos lieux de pouvoir des places à prendre et par vos appareils des institutions à conquérir. Vous êtes de tous les partis de gauche d’un bout à l’autre, des anciens comme des nouveaux, des réformistes comme les radicaux.

Les plus sincères sont emprisonnés de leurs gloires passés. Enfermés dans leur cadrage, leur horizons cognitifs ne va pas plus loin que le bout de leur lecture du monde passé. Ceux la enfantent de petits soldats qui vont jusqu’à se déguiser pour démontrer leur fidélité et apparences à leurs paroisses.

Las ! Imaginez autres choses, tournez la page, vouloir casser les carcans du passé avec vous et vos enfants dans les parages n’est pas chose aisée. Votre naturel acquis tout au long de ces années reviens au galop, constamment. Élevés d’un côté au biberon du léninisme et de l’autre au petit pot de la 5e République, vous êtes les champions de tourner en rond, au mieux.

Certains d’entre vous gagnent leur pain par les appareils et les institutions. Comment attendre de ceux-la un minimum d’esprit créatif qui pourrait mettre « leurs outils de rétributions » en danger ?

De l’aire. Vous bouchez l’horizon. Vous êtes un obstacle à toute évolution de la pensée du monde. Vous empêchez que la page du siècle passé puisse être définitivement tournée. Embourbés dans vos organisations.

décembre 2014

Société tu ne m’auras pas (2)

Je n’ai jamais dis clairement à mes vieux camarades que j’avais pris mes distances avec le parti. Je me sens cynique. Un lutteur qui aurait abandonné en plein milieu d’une bataille sur le ring. Je ne veux pas les décevoir. Ces camarades militent depuis des dizaines d’années. Bien d’entre eux ont contribué à la grande Histoire. Je les admirent.

-Alors Maziar tu en es où avec le parti ?
-Ah, tu sais, j’ai trop de boulots, les enfants… et puis je n’ai plus la tête à ça !

J’ai les boyaux qui me font un mal de chien. Une douleur soudaine. Je viens de terminer une intervention dans un préau d’école. L’intervention de celui qui veut encore y croire. Il y a un monde fou. L’ambiance est tendue. Bové vient de partir en solo, les comités anti-libéraux se disloquent. Les communistes ne veulent pas céder sur la candidature. Ça sera Marie-George ou ça ne le sera pas. J’ai tellement mal que je m’assois sur le sol. Je ne veux pas croire que c’est fini.

Dans un coin, sur un banc d’une école maternelle, je me présente timidement : « Maziar, militant communiste ». Il y a tout de suite un vent de méfiance parmi ces militants altermondialistes, trotskystes, féministes, libertaires, associatifs … J’assume.

Debout au fond de la salle du local des communistes du 13e, je parle en assemblée générale. Je tente de donner un sens à ce que j’ai griffonné sur le bout de papier que j’ai à la main : « besoin de nous nourrir des autres, rentrer dans la société, nous confronter à d’autres cultures militantes; ce qui compte c’est changer ce monde et cette société, un outil n’a aucun sens pour soit; ce n’est pas par l’incantation que nous y arriverons … » Assemblée générale en assemblée générale, je prends la parole et la parole, obstinément pour convaincre d’être la force, le moteur du forum social.

J’ai le sourire. Je suis heureux. Je sors avec mes camarades du parti, d’un débat public du forum social local. Un militant de la LCR m’invective sur notre alliance municipale avec ces « porcs » (sic) de socialistes. Je rigole. J’esquive la provocation et évite l’altercation. Je lui donne rdv à la prochaine réunion du comité local anti-libéral.

Autour de la table, les révolutionnaires, celles et ceux qui veulent mettre à terre le capitalisme, ou le dépasser, le transcender ou le trucider … ces révolutionnaires aux grandes idées généreuses, utopiques, ces communistes, ces libertaires, ces militantes et militants sociaux s’étripent réunion en réunion sur le choix de leur candidat à l’élection présidentielle. Cette ironie m’exaspère. Mais enfin, cette élection n’est jamais que le produit de ce monde dont nous voulons faire table rase ! Nous sommes pris dans son sillage. Nos cerveaux n’arrivent pas à nous projeter au-delà. Nous jouons à un jeu dont nous ne cessons de vouloir détruire les règles. Et pourtant j’y participe, comme les autres, en défendant ma candidate !

Marie-George Buffet – 2007

Voilà. Encore un échec. J’ai mal au ventre et les larmes aux yeux. Je suis usé. Je quitte le préau et pense déjà à l’organisation de la campagne électorale qui vient.

Ce fut fini avec les gauchistes. Je ne les croiserais plus jamais que pendant les manifs et surtout pas dans les mêmes cortèges.

Ce sera Marie-George Buffet la gauche populaire et anti-libérale.

Société tu ne m’auras pas (3) – bientôt

Société tu ne m’auras pas (1)

Je me rappelle très bien de ces discussions avec mon père fin des années 80, début des années 90. J’avais 15 ans et plus. Nous parlions politique. Nous parlions communisme. Assis sur le siège passager, je posais des questions à papa du type : « tu crois pas que l’Iran c’est fait pour le communisme ? Chez nous les gens ne sont pas si individualistes que ça ! »

Je rêvais de la fin de la guerre Iran-Irak. Je voulais la paix. Je n’avais que ça dans la bouche. Je ne comprenais pas encore bien le français. Le parler était pour moi un sacré effort. J’étais collégien. Je voyais le monde à travers le journal de 20h avec mon père. Mon monde était celui de mon histoire personnel, celle de ma famille mélangée à la Grande Histoire.

Je me rappelle la chute du mur de Berlin. Pour moi c’était la fin d’un monde. J’en voulais aux Russes d’avoir gâché cet idéal qui pour moi devait mettre fin à mon malheur personnel. Le communisme devait faire tomber le régime des Mollah, libérer le peuple iranien de ses malheurs et nous permettre de revenir au pays.

Je me rappelle assis avec des amis communistes iraniens autour d’une nappe devant la vieille TV à regarder le putsch de Moscou avec un certain espoir que tout n’était pas perdu que l’URSS pouvait revenir ! Même si ils étaient pitoyables, au moins ils pouvaient être une aide. Et puis cette fois-ci, ils avaient compris la leçon et les choses ne pouvaient que mieux se passer.

L’alcoolique, Boris Eltsine, a mis fin à ces espoirs.

Je faisais parti de la direction du Mouvement Jeunes Communistes quand ce logo a été réalisé par une agence de communication. A chaque fois que je le vois, je me dis : »Mais qu’est-ce qu’il nous a pris de choisir cette image qui n’est pas un logo ?! »
Le pitch de l’agence était : »un mouvement divers et multi couleurs qui sort du cadre sombre »

Alors, j’ai décidé d’adhérer au Mouvement des Jeunesses Communistes de France. Le soviétisme était mort. Il fallait sauver le communisme. Je voulais en être. J’étais en 3e.

Dès mon arrivée au lycée, j’ai participé à sa mis en grève. Je parlais un français approximatif. Je hurlais à travers un plot de chantier. Nous nous mettions en grève et partions à la manif’ à Paris. J’ai payé cette année de luttes révolutionnaires par un redoublement.

J’ai vendu des centaines de badges « Quelle connerie la guerre » contre la première guerre du Golfe. Parfois j’avais tellement les poches pleines de pièces de 10 frs que je ne pouvais pas marcher. Je distribuais des tracts à la première heure devant le lycée et finissais ma journée tard dans la nuit en graphitant « Stop à la guerre ». J’en suis tombé malade. Physiquement malade.

La fac fut militantisme et militantisme. Prise de parole en amphi, les manifestations de 1995, le « tous ensemble », la guéguerre débile avec les gauchistes, les totos et autres rebelles du dimanche… Je voulais que le monde change. Chaque jour était synonyme de distribution de tracts, de collage, de débats, d’initiatives, de manifestations. S’organiser pour oeuvrer pour un monde meilleur. Je vivais de ça. Je carburais à ça.

J’ai assumé des responsabilité dans les organisations communistes.

J’en ai vécu des histoires humaines fortes. La camaraderie, la chaleur humaine, le partage, le sentiment d’être chez soit.

Sentir chez soit quand on a été chassé de ses racines n’a pas de valeur.

Société tu ne m’auras pas (2)

Un pari

Nous sommes assis à la terrasse d’un restaurant jonché sur le toit de Téhéran. Je discute avec mon petit cousin, Amir. Et d’un coup je hausse la voix. Mes amis qui ne comprennent rien au persan sursautent. Ils me jettent tous un regard inquiet. Je suis rouge. Je tente de gérer la colère qui monte.

– Qu’est-ce qui t’arrive ?

– Rien, il veut quitter l’Iran. Il veut aller vivre en Europe, au Canada …

Je me trouve à Téhéran avec trois amis sur un coup de tête, un pari.

– Quand est-ce que tu nous fais visiter l’Iran ?

– Quand vous voulez !

Amir nous attend à l’aéroport. Il a toujours le sourire, celui qui ne le quitte jamais. Il tente un bonjour en français. Salue chaleureusement tout le monde. Fais connaissance. Insiste pour porter ma valise. Il entame la conversation en anglais. Je tente la traduction persan-français, français-persan.

Je suis heureux d’être là comme à chaque fois. Les autres découvrent silencieusement, je joue parfois le guide et décris le paysage. Je compare le temps de mon enfance et les changements que je vis à chacun de mes retours. Je me contiens pour ne pas mélanger ce qui est de ma vie de ce qui devrait être de l’ordre d’une découverte touristique.

C’est Achoura. Le pays est en deuil. Des tissus noirs décorent les murs. Nous vivons à chaque coin de rue des cérémonies de deuils. Des hauts parleurs geignent. Ça pleure l’imam Hossein. Les hommes de tout âge, en rang, se frappent les épaules avec des chaînes. D’autres lèvent leur bras droit au ciel au ralenti et l’abattent avec une grande force sur leur coeur. Tout cela suit un rythme, une musique de complaintes.

Le bazar de Téhéran est fermé. Des stands de fortune distribuent de la nourriture, des pommes de terre, des oeufs durs, d’autres du thé.

Nous avons RDV avec Babak, le frère de Amir, dans un coffee shop branché de Téhéran. Il vient nous chercher avec un grand sac de sport à la main, grand sourire, posture de grand seigneur. Arrivé à notre appartement. Il ouvre son sac, sort des chips, des cacahuètes, du yaourt à l’ail et une grande bouteille de Whisky.

– Dis leur Maziar, qu’ils ne faut pas qu’ils croient qu’on ne peut pas faire la fête en Iran !

Nous filons à 120 km/h dans les rues de Téhéran. Le niveau sonore de l’autoradio est à la hauteur de la vitesse de la voiture. Deux manoeuvres réalisées avec une seule main, nous sommes garés. Nos rentrons dans un dinner. Babak offre des burgers.

– Dis leur Maziar, à Téhéran aussi on peut manger de bons burgers !

Nous sommes à Karaj. Je suis en pèlerinage. Je cherche l’ancien kiosque de mon grand-père. Le bazar est calme. Les bazaris trainent leur ennuis adossés à leur étalage. Ils nous regardent d’un oeil plus suspicieux que curieux. Je suis pris d’un sentiment de malaise.

Devant la mosquée, je montre du doigt un abri, une tranchée, un vestige de la guerre Iran-Irak. Un adolescent de noir vêtu de la tête au pied vient vers nous. Quelqu’un lui demande en anglais ce que c’est. C’est alors que l’adolescent me regarde, pour que je traduise et se lance dans un long discours : le guide supreme Imam Khomeini, la guerre sainte, les martyrs, l’Iran qui n’a peur d’aucun pays… Sur le chemin du salon de thé où il veut nous emmener, il me demande :

– Monsieur, est-ce que notre guide est adoré à l’étranger ?

Je ne sais quoi répondre à ce garçon dont le fond d’écran de téléphone est une photo de Khamenei.

Il est extrêmement tard dans la nuit. Nous sommes sur la route de l’aéroport. Je regarde le paysage. Je suis triste de quitter de nouveau ce pays. J’aurais tant voulu avoir un chez moi. Je me dis pour la énième fois que si jamais nous ne l’avions pas quitté, je ne serais pas cet éternel étranger et ce où que j’aille. Et je pense à Amir.

Mon monde parallèle

Quand je n’ai plus aucun moyen d’échapper à une situation qui me pèse, je m’enfuis là où je ne suis pas atteignable. Je me réfugie dans mon monde parallèle. Dans ce monde, j’y suis sans y être vraiment. J’y existe, mais pas au quotidien.

C’est un privilège d’immigrés ? Un jour un des mes oncles me disait: “je t’envie pas, tu as deux pays, deux endroits, tu as forcément double soucis”.

Quand je suis au bord du burn-out, donc, cette “double vie” là est une libération. Il me suffit d’acheter un billet d’avion et hop je suis dans mon monde parallèle. Je me réfugie dans cet ailleurs où je suis né. J’échappe à cet épuisement qui vient insidieusement s’immiscer comme de l’humidité dans les pores de mon cerveau.

En 2014, j’en peux plus de l’“absurdie”, du monde kafkaïen qui suit ses règles absurdes qui n’ont que du sens dans les processus imposés par des technocrates et ânonnés par des médiocres incompétents.

J’atterris à l’improviste chez mon cousin, dans la banlieue lointaine de Téhéran. Le lendemain de mon arrivée, mon cousin me dit : “On va chercher Amu (l’Oncle)”.

Amu est le grand frère de mon père. Amu impose le respect. Il suffit que Amu se présente et le monde s’arrête et se tourne vers lui pour connaître le moindre de ses désirs pour s’y plier. Dans ce monde-là, il n’y a qu’un seul Dowlatabadi, c’est Amu. Il peut y avoir dix Dowlatabadi dans la pièce et si jamais on demande Dowlatabadi, tous les autres montreront Amu du doigt.

Quand Amu a les yeux noirs, les sourcils froncés, la voix sèche et n’exprime que le strict minimum, c’est que Amu est fâché. Et quand Amu est fâché, la faune et la flore se taisent, de peur d’une explosion de colère noire qui ferait trembler le plus vaillant des arbres centenaires et le plus méchant chien errant à moins de cent kilomètres.

Ce jour-là Amu n’était pas dans son assiette.

Dans la voiture qui nous emmène à Téhéran, Amu assis sur le siège passager me demande sans se retourner : “Maziar, as-tu tous tes papiers d’identité avec toi ?” Je réponds sans la moindre hésitation : “Oui Amu, j’ai tous mes papiers.” Je n’ai pas le temps de lui demander pourquoi, qu’il est déjà en train de dire au téléphone : “Maître, je viens chez vous avec mon neveu à la première heure.”

Il raccroche. Et me dit : “Maziar, tu sais que votre maison est encore à mon nom ? Eh ben je vais te la donner. Elle est à mon frère, à ton père, ce n’est plus possible qu’elle soit à mon nom”. Scotché sur le siège arrière, je ne sais que dire. D’ailleurs, Amu quand il dit une chose pareille, il n’y a que l’acquiescement de possible et ce par un silence respectueux.

L’avocat nous conseille. Nous nous rendons à une agence immobilière. Amu expose ce que l’avocat nous a conseillé. L’agent immobilier s’exécute.

Nous prenons le chemin du notaire le lendemain. Sur le chemin un employé municipal reconnait mon oncle. Il lui exprime le respect en le saluant par un “Monsieur Dowlatabadi” tout en se penchant. La porte du notaire s’ouvre. Nous sommes accueillis par des “Monsieur Dowlatabadi bienvenue”. Ceux qui attendent leur tour se lèvent, le saluent. Le notaire nous reçoit dans son bureau. Quelqu’un va acheter des gâteaux secs. On nous sert le thé.

Nous étions venus sans rendez-vous et nous partons avec l’acte de propriété de la maison à mon nom, en moins d’une heure.

Et moi d’un coup, je me trouve, un peu, un tout petit peu à faire partie du quotidien de mon monde parallèle. Mon cocon a pris de l’ampleur. Je ne suis plus le touriste de passage. Je me trouve avec un ancrage.

Il fallait la vendre cette maison. Et là, ce fut une autre paire de manches !

Paraître

J’ai réservé une petite voiture de location, une Polo ou équivalent. Arrivé chez le loueur, comme à chaque fois, il me fait le coup :

  • Pour 10 euros de plus par jour, vous pouvez avoir une Peugeot 2008 !
  • Vous voulez dire 260 euros de plus ?!
  • Eh … oui …
  • Non merci !

Son voisin m’interpelle :

  • Et une Jeep ?

Le mot Jeep ne passe pas dans l’oreille d’un sourd. Je ne suis pas fana de voiture. D’ailleurs je n’en ai pas, puisque j’en loue. Mais alors Jeep a un effet de “Madeleine de Proust”. Il me rappelle un souvenir vague de moi à l’arrière d’une Jeep roulant dans le désert où se situe le village de mon père !

(Cette voiture n’est pas une Jeep. C’est une Land Rover Defender. Cela montre le niveau de ma culture automobile.)

  • Sinon j’ai quoi comme voiture ?
  • Une Ford Fiesta !
  • Ok, je prends la Jeep !

Je me retrouve avec une Jeep Renegade rouge pétante !

Et les ennuis commencent !

Petit étudiant, je roulais avec ma petite Rover 111L.

Il m’arrivait de faire Paris-Cahors ! Gare à moi si jamais j’empruntais la voie rapide. Je me mangeais les appels de phare et face contre cul des grosses voitures ! Je ne les haïssaient pas. Je méprisais juste leur arrogance, avec une once d’énervement sourd de subir l’injustice du faible face au fort ! La route était aussi à moi.

Et me voici dans la situation inverse. Le temps d’apprivoiser cette satanée Jeep que le monde entier me déteste. Je tente juste de conduire.

Le moindre petit faux pas est impardonnable par l’automobiliste lamda, queue de poisson, doigt, bras d’honneur … Je ne suis pas un as du volant, mais je ne pense pas conduire si mal ! Cette voiture déchaine la haine.

Le loueur aurait dû mettre un peu plus gros son autocollant sur la voiture, peut-être que les frustrés de la vie, ceux qui croient que ce que sont les autres, est la source de leur frustration, ne me feraient que des doigts et m’épargneraient leur bras d’honneur !

Le temps de quelques jours, je suis réduit dans le regard de certains à une voiture que j’ai loué à prix réduit grâce au code promo du Comité d’Entreprise.

Êtres n’est que paraitre sur les routes, apparemment !

Le tout petit carnet de voyage

Je fais mon sac à la dernière minute. Il est difforme. Lourd et importable. Taxi. Orly Sud.

Un couple de personnes âgées tente d’enregistrer leur dizaine de bagages. Le monsieur de l’aéroport est rouge. La vieille dame ne cesse de parler. Le monsieur crie : “faites bref svp madame…” Apparemment l’esprit de concision n’est pas son fort. Le vieux monsieur est effacé. L’homme à l’uniforme, d’une forte carrure, sue. S’essuie le visage. Fait un effort insurmontable pour rester poli. Au bout de 30 min et quelques coups de fils la situation se dénue. Cependant, d’un coup, l’homme fort se lève et crie :”maintenant c’est la machine qui bogue ! “

Un jeune homme parle au téléphone derrière moi d’un projet Web qu’on souhaite lui faire faire. Il est taquin. Quoi un site pour mille euros sous WordPress ?

Je joue avec mon smartphone et me dit que entre le bogue de la machine et le jeune au téléphone, décidément le boulot me poursuit ! L’homme à l’uniforme, d’un tour de passe passe avec son collègue d’à côté, réussi finalement à se débarrasser du couple de vieux. Par contre la machine bogue toujours. Il s’excite. Se lève. Téléphone. Râle dans sa barbe contre son supérieur. Ne cesse de s’excuser pour le retard.

Je suis hors temps. Je suis comme un pneu surgonflé qui se dégonfle. Hagard. Je m’endors sur mon siège. Direction Istanbul, une escale de 4 heures m’attends. J’ai payé une bouteille d’eau de source de 33cl 1,30 euros dans l’avion. J’enrage.

Au Burger King de l’aéroport le jeunot derrière la caisse réussi à me vendre une boîte de 9 nuggets comme faisant parti de mon menu. Il me réclame 14 euros. Je dis What ? Il me fait comprendre que c’est le supplément de nuggets !

Porte 204 B. Ils sont de noir et gris vêtus. Tirent la tronche. Assis par terre. Mal rasés plus que barbus. Costumes mal taillés. Chemises trop courtes. Ventrus. L’ambiance. Je ne comprends pas pourquoi ils se refusent le confort. L’aéroport est rempli de bars et de fauteuils. Ils sont par terre devant les portes fermées à attendre d’embarquer. Le confort serait-il un péché ? Un Starbucks, un Burger King … D’ailleurs, avec toutes ces enseignes la seule chose qui fait Istanbul est la langue turque.

Les femmes mettent leur foulard et j’atterris sur Imam Khomeiny. L’aéroport.

A la douane le gars me montre le tampon d’autorisation de sortie sur mon passeport iranien et me dit “Fais attention à ton service militaire !”. J’acquiesce poliment et le remercie.

Et ça y est. J’y suis. 3h du matin. ça bouillonne encore dans l’aéroport. J’étais là il y a 6 ans.

La 405 roule. Je donne des nouvelles. Trouve que mon cousin a trop vieilli. Comme à chaque retour, je me crois dans un rêve. L’autoroute. Des chemins de traverse. Des dos d’ânes. Des gens qui errent à 4h du matin. Une petite ville de Shahryar. Au fond d’une rue, nous sommes arrivés. Une cuisine ouverte sur un grand espace, deux chambres, une salle de bain, des WC, cinq personnes vivent là, et moi maintenant pour quelques jours.

J’ai une carte SIM prépayée. Le numéro a circulé. Il ne cesse de sonner. Je passe mon temps à passer de Shahryar à Téhéran et vis et versa. J’observe. Je dévisage la rue. Je regarde les gens. J’écoute.

Il est question de mariage. De dot trop chère. De divorce. De relations amoureuses. De ruptures. D’arrangements amoureux. Les écrans de TV sont branchés sur les chaines persanes diffusées à partir de l’étranger. Les séries turques ont remplacées les indiennes. Les satellites sont maintenant apparents devant les fenêtres, plus personne ne les cache. Le pouvoir a abandonné l’idée même de les détruire.

Avoir et paraître c’est ce qui se diffuse à longueur d’antenne et c’est ce que transpire l’ambiance. D’ici et là des reliques des idéaux de la révolution islamique, quelques martyrs … Street art avant l’heure, délavés, effacés par les années, noyés dans la masse de panneaux publicitaires pour LG, Samsung, KIA, et autres produits étrangers …

Le bloc 350 des prisonniers politiques de la fameuse prison d’Evin s’est révolté. Les insurgés se seraient faits massacrés. Les mères manifestent devant la prison. La BCC Persane rapporte. VOA (la Voie de l’Amérique) commente. Le responsable iranien temporise sur la 1ere chaine de la République Islamique d’Iran. Le fin mot de l’histoire est la découverte d’une carte SIM parmi les prisonniers.

Dans le métro un gars assis chope une page d’un canard qu’un autre lit debout. Ce geste me fait sursauter. Le gars debout dit : “t’inquiète pas ce n’est pas ce soir qu’il vont augmenter l’essence.” Il s’ensuit une discussion tranquille sur la corruption, ces salauds d’en haut qui ne pensent pas au petit peuple. La discussion se termine par l’histoire d’une combine que le gars assis a monté pour se faire quelques sous. Dans un taxi collectif le surlendemain, j’entends que l’armée avait été présente devant les stations d’essence le soir de l’annonce de l’augmentation du prix de l’essence. Rumeur ?

Les micros trottoirs interrogent “les gens de la rue” sur l’allocation universelle qui ne l’est maintenant que sur déclaration de revenus et ce en ligne. Des millions de personnes en sont bénéficiaires. A demi mot, les “journalistes” poussent les gens à se désister. Il y a toujours plus pauvre, plus malheureux que soit et ça partout dans le monde !

J’ouvre un compte en 5 minutes dans une banque. Il y en a plusieurs à chaque coin de rue. La carte de paiement a remplacé les liasses de billets. On transfère l’argent de compte à compte, de carte à carte, via des distributeurs ou par SMS !

Je ne vois pas le temps passer. J’ai le tournis. Je commence à connaitre les autoroutes, les rocades, les lignes de métro, les quartiers… et j’ai un mal de chien à retenir leurs noms ! Pourquoi ?

Il est 1h du matin. Je suis à l’aéroport. Mon vol est dans 2h. Je suis dépité. Le monsieur en face de moi me dit : “Mais enfin monsieur vous avez le poids de bagages pour deux personnes !”. Je négocie ferme et fulmine de payer autant de surpoids. Une pensée pour les vieux de l’aller.

Mon sac a dos est lourd. Les pasdarans sont toujours là avant la montée dans l’avion. Il y en a un qui crie en s’adressant à deux de ses collègues : “Hé, apparemment il y a quelques choses entre vous deux ou quoi ?” Éclat de rire général.

Je roule avec mon père vers Paris. Je suis déjà pris de nostalgie.

Le deuil

Je montre à mon père comment classer ses photos sur son ordinateur. Et je tombe sur cette photo :

Je demande depuis quand ma nièce sait écrire le persan. Mes parents ont le sourire aux lèvres. En effet c’est une photo de ma lettre du “grand retour”. Il est écrit : “Iran Patrie. Dormir sans dormir. École sans école”.

Je ne reconnais pas mon écriture, mais je me rappelle très bien de cette lettre et de la nuit où je l’ai écrite.

Je partageais une chambre avec ma sœur. Nous dormions dans des lits superposés, moi au dessus. La famille était locataire d’un deux pièces à Châtenay-Malabry.

Un mois d’été ou de printemps, je ne sais plus, nous quittons le foyer des travailleurs immigrés qui servait aussi de foyer d’accueil des exilés politiques, de la ville de Miribel, ici exactement. Je suis assis à l’arrière d’une camionnette sur nos valises. La camionnette, conduite par un bénévole de je ne sais quelle association, nous dépose à la gare, à Lyon. Nous prenons le TGV. C’est la première fois de ma vie que je prends un train. Arrivés à Paris, nous avons rendez-vous sur le quai du RER B, station Denfert-Rochereau avec une connaissance.

Je me vois assis dans le wagon de tête du RER par terre. Il fait très chaud.

Robinson, terminus, tout le monde descend.

Un couple d’iraniens et leur fille quittent le deux pièces. Nous allons prendre leur place. Il n’y a rien dans les pièces sauf un matelas posé par terre. La propriétaire veut bien louer l’appartement à condition que nous la payions en liquide.

Nous posons nos valises. Notre nouvelle vie commence à partir de ce moment. Je ne le sais pas encore. Je crois toujours que c’est provisoire et que nous allons rentrer bientôt.

La fameuse nuit de la lettre, donc, j’ai le mal du pays. Je vis mal le fait de ne pas comprendre ce que mes profs du collège racontent. Je suis projeté dans une ZEP et comme je ne comprends et ne parle pas bien le français, je suis dans une classe de redoublés, qui avait un intitulé bien “éducation nationale” pour définir une classe d’enfants difficiles.

Moi le premier de la classe dans mon pays, je suis dans une classe de cancres, avec deux ans de retard sur le cursus normal. Je suis perdu parmi les pré-ados de la Butte-Rouge laissés à l’abandon par la fermeture de Billancourt.

Non vraiment, si mes parents ne peuvent pas retourner au pays, moi je vais y retourner. Je bois comme Rocky un verre de lait avec un jaune d’œuf dedans. Je pique 50 francs dans la poche de mon père. J’écris cette fameuse lettre. Je noue des cordes. J’attache mon instrument de libération à la barrière du balcon au deuxième étage. Je pars dans les rues froides d’un mois d’automne. Je marche tête baissée. Je ne sais pas vraiment où je vais. Je marche. Je ne sais pas comment, je me retrouve vers cinq heures du matin à la station de métro Chatillon Montrouge. Je suis assis sur mon sac. Mes parents me manquent. J’ai un éclaire de lucidité. Je ressors. Je prends un bus. Ma mère ouvre la porte me serre dans ses bras. Elle fond en larmes.

Ils ont passés la nuit à appeler à l’aide leurs amis aussi étrangers qu’eux. Les flics ont rembarré mon père. “Les fuyards rentrent en majorité des cas”, qu’ils lui avaient répliqué.

L’Iran c’est fini. Je n’y retournerais plus. J’accepte la fatalité. J’en fais mon deuil et je ne veux même plus en entendre parler. Et c’est à 30 ans après 18 ans d’éloignement que j’y suis retourné.

Dowlatabadi parce que Dowlatabad

En partance pour New-York, ma carte d’embarquement au scanner balance un son strident et une lumière rouge. L’hôtesse me signale que je suis sélectionné. L’espace de quelques micro-secondes je m’attends à voir un gars avec un micro sortir de je ne sais où et m’annoncer que je suis l’heureux gagnant de je ne sais quoi.

Mais non je suis invité à rejoindre deux agents de sécurité privés qui me fouillent de nouveau. L’humiliation subie dans ce genre de situation est particulièrement discriminatoire. Dans un souci d’égalité je la souhaite à tout le monde. Oui, humiliation pour tous.

Très naturellement sur le coup on est amené à se demander pourquoi moi ?! Mon nom sûrement ! Sinon je suis bien habillé, bien rasés Je trouve même que je porte très bien ma chemise à carreaux.

Oui, mon nom sûrement. Ce nom dont je suis si fière de porter. Ce nom qui veut tout simplement dire “vient de Dowlatabad”.

Dowlatabad est un village perdu à la frontière du désert, pas loin de l’Afghanistan, sur la route de l’opium, à côté de Sabvzevar. Où il faut faire bouillir l’eau salée qu’on va chercher avec n’importe quel récipient qui peut la porter. En tout cas, c’était comme ça, quand j’y allais tout petit il y a si longtemps, il y a plus de 30 ans.

On hurle et ça me réveille. On me fait sortir de la voiture. Il y a une forte odeur de gazole. Il fait froid. Il fait humide. Un torrent barre la route de terre. Mon père, mes oncles et des villageois essaient de faire traverser les voitures à force de bras et de tracteur. Le printemps est dans quelques jours. C’est norouz, le nouvel an iranien. Et nous allons passer nos vacances à Dowlatabad.

Nous sommes en plein désert avec un tout petit troupeau de moutons. Il y a mon cousin et un de ses copains de Dowlatabad. Ce sont les moutons du kadkhoda du village, mon oncle. Un petit garçon arrive avec un vélo qui est trois fois plus grand que lui. Il pédale à travers le cadre. Ils se parlent dans le dialecte de Dowlatabad, dont je ne comprends absolument rien. Et ils me lâchent là en plein milieu du désert avec les moutons.

Mon grand cousin est sur un cheval blanc. Sa mariée en robe blanche est avec lui, devant lui. Du toit on jette des billets et les enfants se ruent dessus. Et entre enfants, nous comparons nos liasses.

On se balade de toit en toit dans des ruines. Une famille est installée dans une pièce en plein milieu de cette ruine en terre cuite.

Ma tête est remplie d’s de Dowlatabad. Il m’est impossible de lier cess entre elles pour construire toutes les histoires auxquelles elles sont rattachées.

Dowlatabad a vu naître ma famille du côté de mon père. Il a engendré Hossein Dowlatabadi, Mahmoud Dowlatabadi et son Kelidar et bien d’autres encore …

Oui, je m’appelle Dowlatabadi, celui qui vient de Dowlatabad.